Faits recueillis par Madeleine MEUNIER née TANCHOT

L'année 1914


Le recensement de 1911 n'ayant pas encore été publié par les archives en ligne de l'Isère, on se base sur celui de 1906, car tout laisse à penser qu'il n'y aura pas beaucoup de changements en 8 ans.

St Michel regroupait 425 habitants, tous de nationalité française, répartis dans 100 maisons.

Plusieurs branches de leurs ancêtres étaient présentes depuis, au moins, sinon plus, 1647. Les jeunes gens épousaient  des filles de la paroisse ou des villages voisins.

Les chefs de famille étaient, en majorité, des cultivateurs qui employaient parfois des domestiques, originaires du canton.

Certains pratiquaient une activité commerciale ou artisanale. Ainsi, on dénombre trois débitants de boisson (dont un de tabac), une épicière, trois cordonniers, deux charpentiers, deux maréchaux-ferrants, deux charrons, deux maçons, une modiste, une téléphoniste. Dans certaines familles on élevait des nourrissons venus de la ville.

Les gens se connaissaient depuis l'enfance: ils allaient à l'école et au catéchisme ensemble. Tous, catholiques pratiquants, se retrouvaient le dimanche: le matin à la messe, et aux vêpres  l'après-midi.

Les hommes s'attablaient, après l'office dominical, dans les cafés.

Pendant les longues soirées d'hiver, on se regroupait, dans une ambiance très amicale, entre voisins, pour les mondées, la région ayant une vocation nucicole.

 

A la veille du 1er août 1914, le secrétaire de mairie (c'était l'instituteur) avait enregistré 4 naissances, un mariage, 9 décès.

Les 10 conseillers municipaux avaient élu, deux ans auparavant, leur maire: Joseph DYE, et son adjoint: Daniel CHAMPON.

L'abbé Augustin JUVIN, né à Chasselay, était curé de la paroisse depuis 1898.

L'instituteur, François Joseph PION-ROUX, dans la classe des garçons, et l'institutrice, Augustine Eugénie IDELON (née GENEVEY MINGOT à Cours St Geoirs), dans la classe des filles, régnaient en maîtres incontestés.

La population ne bénéficiait ni de l'eau courante, ni de l'électricité et s'éclairait à la lampe à pétrole et aux bougies.

 

Lorsque les cloches sonnèrent à toute volée la mobilisation générale contre l'Allemagne, en pleines moissons, les hommes, en âge de porter les armes, se préparèrent.

Combien furent-ils? Bien difficile, à l'heure actuelle, de les dénombrer. Certains avaient plus de 45 ans.

On a souvent décrit leur enthousiasme à partir au combat, scandant: «En trois semaines on les aura!».

Certes, l'école de Jules Ferry avait formé d'ardents patriotes.

Mais, qui pourra exprimer ce qu'ils ressentirent vraiment, au fond d'eux-mêmes, notamment ceux qui laissaient leur épouse, leurs enfants nés ou à naître, leurs parents âgés?

Et quelques-uns, rares d'ailleurs, étaient antimilitaristes.

Ils se dirigèrent au bureau de recrutement de Bourgoin où leur affectation leur fut désignée.

 

Le Conseil Municipal, réduit aux cinq membres les plus âgés, traita les affaires courantes, et un jeune homme, exempté du service, fut nommé secrétaire.

 

L'annonce de la mort d'Henri EYMOND-LARITAZ, né au Magnin, plongea la population dans le désarroi. Ce jeune homme, qui avait appris le métier de cordonnier, avait été souvent invité aux noces. Son sourire, sa gaieté, sa bonne humeur, étaient très appréciés. Enrôlé dans le 222ième régiment d'infanterie, il fut tué à l'ennemi à La Montagne de Gerbevilliers, en Meurthe-et-Moselle, le 30 août. Il avait 29 ans...

Dans les maisons, on redouta désormais l'arrivée du maire, ceint de l'écharpe tricolore, qui se faisait accompagner du curé. Leurs yeux embués indiquaient leur émotion. D'ailleurs, quelles paroles de réconfort auraient-ils pu prononcer en annonçant une  nouvelle aussi sinistre?

 

8 jours plus tard, ce fut au tour de Auguste TROPEL, né à La Grisonnière, de tomber au Col du Bonhomme, dans les Vosges. Ce grand gaillard de 1 m 87, 2ième canonnier dans le Ier régiment d'artillerie de montagne, n'avait que 23 ans...

 

Le 1er octobre, le corps de Paul DURAND, né aux Fourcoules, soldat du 22ième régiment d'infanterie, fut criblé de balles sur le champ de bataille de Chuignes, dans la Somme. L'abbé Juvin l'avait initié à l'art de la photographie. On s'adressait à lui pour les clichés des noces, des portraits de famille. Il avait 33 ans.

 

Le 18 novembre s'éteignait à l'hôpital d'Amiens, après avoir été grièvement blessé et transporté en ambulance, Alphonse DIJON, né à La Combe, du 22ième régiment d'infanterie. Il était âgé de 25 ans.

 

Tous quatre travaillaient la terre et étaient célibataires. Ils avaient été envoyés au front aux premiers jours d'août. On leur avait attribué le pantalon rouge garance qui allait faire d'eux des cibles bien faciles pour les troupes ennemies...

 

On enterra encore 8 autres villageois dans le cimetière qui avait été réceptionné en 1900 (le dernier homme à être enseveli dans le cimetière paroissial jouxtant l'église le fut cette année-là.

On baptisa trois autres nouveaux-nés.

 

La morosité gagna les villageois: on savait désormais que le conflit allait durer.

 

                                                                              

Sources:

       registres d'état civil de la commune de Saint Michel de Saint Geoirs,

       registres matricules militaires publiés par les archives en ligne de l'Isère,

       Recensement de la population de 1906.

L'année 1915

 Comme chaque jour de l'An, en ce matin du 1er janvier 1915, les Saint-Micharauds se rendent à la messe, et échangent ensuite leurs voeux de bonne année et de bonne santé. Mais les rangs des hommes, au fond de l'église, sont bien clairsemés. Il y en a tant qui sont au combat, sur le front...

 

Les deux conscrites de cette année n'ont pas reçu, au matin, comme le veut la coutume, pour leurs 20 ans, le traditionnel bouquet de fleurs offert par leurs quatre conscrits. Ces derniers ont été enrôlés quinze jours auparavant.

Personne ne sait encore que Julien Joseph DIJON, veloutier et cultivateur, est en train de succomber de la fièvre typhoïde, cette redoutable maladie infectieuse propagée par l'hygiène précaire dans laquelle vivaient les soldats, dans l'hôpital militaire mixte de Troyes, dans l'Aube, en Champagne. Bien qu'âgé de 41 ans, il avait été mobilisé le 16 août dernier et était passé dans le 110° Régiment Territorial d'Infanterie. Il était né à La Combe, avait grandi au Beu, s'était installé dans la plus ancienne maison du village, disait-on, au Domaine de la Rochevieille, au pied du Devais (actuelle résidence de Victor Mallier) après avoir épousé à Bizonnes, en 1906,  Augustine Quillon, tisseuse  à Voiron, comme ses belles-soeurs.

 

Depuis le milieu du XIX° siècle pas mal de jeunes filles de la région, avant leur mariage, ou avant leur première maternité, étaient ouvrières dans des usines de tissage.

Le recensement de 1906 (le dernier publié dans les archives en ligne de l'Isère) en dénombre 42 : 23 à l'usine de tissage de velours MARTIN, à Voiron, 2 à l'usine de tissage de soie PERMEZEL à Voiron, 16 à l'usine de tissage de soie DELAPRE à Renage, 1 à l'usine de velours BICKERT de Moirans. Elles étaient donc obligées, vu la distance, de travailler dans des usines-pensionnats. Tous les dimanches après-midis, elles se retrouvaient à l'entrée du village, montaient dans «la galère», une grande voiture tirée par un cheval (ou un mulet) et conduite par un voiturier de St Michel.

Elles descendaient à la gare de St Etienne de St Geoirs et empruntaient le train pour leurs destinations respectives. C'est dans ces usines-pensionnats que les conditions de vie sont les plus difficiles.

Leur vie est rythmée par le son de la cloche ou le hurlement des sirènes. Bien que le nombre d'heures de travail, au fil des années, ait été fixé à 10 h, il n'est pas rare qu'elles les dépassent.

Elles sont surveillées à l'atelier par des contremaîtresses, et au réfectoire et au dortoir par des religieuses. Leur nourriture est frugale: la soupe et le plat du jour sont achetés aux soeurs ; les provisions rapportées de chez elles complètent leurs repas. Elles dorment dans un espace encombré car elles sont nombreuses.

A cette promiscuité et à l'hygiène déplorable, il faut ajouter les remarques humiliantes, telles que celles de cette épouse de patron qui, voyant sa fille assise à leurs côtés sur un banc en leur parlant gentiment, lui intime sèchement : «Ne vous approchez pas des ouvrières ; elles ont des poux!».

Les salaires sont médiocres (elles sont payées à la journée) et peuvent être amputés par une amende pour un retard, une maladresse, une indiscipline, car le règlement est très sévère. On veille au respect des bonnes moeurs : pas question de frayer avec les garçons !

Pour améliorer leurs conditions de vie, certaines cessent leur travail. Mais ces grèves de 1906 dans les usines de tissage du Bas-Dauphiné ne donneront pas les résultats escomptés. Quand s'approche le samedi, où la journée se termine une heure plus tôt pour ne pas rater le départ du train, une certaine gaieté règne.

Arrivées chez elles, elles déposent dans les mains de leurs parents leur maigre pécule indispensable à leur famille. Le lendemain elles assistent à la messe dominicale, puis aux vêpres que le curé a avancées à treize heures afin qu'elles puissent être présentes. En 1915 le nombre d'ouvrières de St Michel a certainement baissé car beaucoup ont fondé une famille depuis 1906. Certaines sont devenues chefs de l'exploitation familiale.

 

On a besoin des femmes pour remplacer les hommes lors des saisons des gros travaux: fenaisons, moissons, batteuses. Mais d'autres jeunes filles ont pris la relève. La déclaration de guerre avait posé une inquiétude dans les soieries. Mais les fabriques bénéficiant du fait que leur main d'oeuvre est essentiellement féminine, leur production n'est pas désorganisée. Certes l'Allemagne a annulé ses commandes, mais l'Angleterre et les Etats-Unis demandent de beaux tissus pour lesquels il n'y a plus de concurrence. La France ayant besoin, entre autres, de tissus de deuils, il n'y a pas de chômage. Le Conseil Municipal se réunit pour vaquer aux affaires courantes: budget, chemins...et pour l'octroi d'aides aux familles dont le départ de plusieurs fils à la guerre pose de gros soucis financiers.

 

Aux armées une nouvelle teinte pour l'uniforme français est adaptée, celle du fameux «bleu horizon». C'est une course frénétique vers le «camouflage», et pas un soldat n'est vêtu et équipé comme son voisin. Comme la guerre des gaz vient de commencer on conçoit en urgence des tampons contre les gaz. La guerre continue de faire des victimes. Le 20 août, Paul CHAMPON-VACHOT, 20 ans, né à La Combe, soldat de 2° classe au 157° Régiment d'Infanterie, meurt, à l'Hôpital Rebeval de Neufchâteau (Vosges), d'une maladie contractée en service. Le 06 octobre, Léon CHAMPON, né à la Barbaudière, soldat de 2° classe au 30° Régiment d'Infanterie,  mortellement blessé à St Rémy sur Bussy (Marne), décède dans l'ambulance 16/14 qui le transporte à l'hôpital, une semaine avant son 20° anniversaire... Ces deux conscrits étaient issus d'une nombreuse fratrie et travaillaient la propriété familiale. Leurs décès s'ajoutent aux cinq autres enregistrés. Parmi les cinq enfants nés (une fille et quatre garçons) trois avaient leurs pères sous les drapeaux. Aucun couple ne s'unit et il en sera ainsi pendant les trois autres années de guerre.

 

 Sources:

 – registres d'état civil de la commune de St Michel de St Geoirs, 

  – registres matricules militaires publiés par les archives en ligne de l'Isère,

  – recensement de la population de 1906.

L'année 1916


Le 03 janvier 1916, le Conseil Municipal réduit à 4 membres (le 5° étant moribond), se réunit pour
examiner la demande d'un père de famille nombreuse qui aimerait une aide de la commune. Malade
une bonne partie de l'année, avec une épouse de santé faible ayant à charge des enfants encore
jeunes, il a vu sa propriété hypothéquée à cause de dettes. Ses deux fils aînés sont sous les
drapeaux. Les conseillers émettent un avis favorable.
L'assistance sociale n'est pas récente.
Sous l'Ancien Régime c'était «l'Oeuvre paroissiale». Après la Révolution Française de 1789 ce sera la
Municipalité.
Prenons l'exemple de 1855. 15 garçons (les filles n'étaient pas encore scolarisées) sont admis gratuitement à
l'école primaire communale. 8 d'entre eux en bénéficieront encore l'année suivante.
Cette même année 1855, le bureau de bienfaisance établit la liste de 24 chefs de famille indigentes et leur
verse une somme variant de 3 à 13 francs suivant la composition de leur famille. Une légère majoration sera
accordée les deux années suivantes.
En 1858, 23 chefs de famille indigents ont droit au service médical gratuit. Peu d'entre eux sont cultivateurs,
beaucoup sont journaliers ou journalières, quelques-uns sont ouvriers.
Le 14 septembre 1873 la commission administrative du bureau de bienfaisance autorise la perception du
capital de 600 f provenant d’un legs de Monsieur Agathange Chulliat (1717-1885), curé pendant 44 ans à St
Michel, fait le 10 août 1775. La rente doit être payée le 10 août de chaque année. Les deux descendants du
gestionnaire du capital, contemporain du curé, font connaître leur intention de se libérer de la somme de 600
f qu’ils doivent au bureau de bienfaisance. Cette somme sera convertie en rentes sur l’Etat. Clin d'oeil de
l'Histoire, un siècle plus tard!
Le 9 janvier, soit 6 jours plus tard, ils examinent la demande d'assistance d'un «vieillard» de 71 ans
et l'acceptent.
On est en plein hiver. Ils décident que, pour payer le charbon des classes, il faut prendre la somme
de 139 f 37 dans les fonds libres de la commune.
Le mois suivant, les quatre membres restants (le 5° est décédé en janvier) sont d'accord pour que le
jeune homme de 18 ans, qui remplit les fonctions de secrétaire de mairie (l'instituteur, Mr Pion-
Roux étant mobilisé), soit rétribué. C'est une question de justice. Sans doute, comme il est nouveau
dans la fonction, ne lui versera-t-on pas l'intégralité du traitement votée en juin 1914 pour 1915,
c'est-à-dire 400 f annuels (augmentation de 100 f par rapport à 1911).
Loin de St Michel, les combats font rage.
On sait, aujourd'hui, que l'année 1916 a été une année charnière de la 1° guerre mondiale. Elle est
liée au souvenir de la bataille de Verdun, bataille qui dura dix mois. Des soldats français, anglais,
russes, se sont heurtés aux soldats allemands. L'engagement des troupes est encore plus massif.
Ainsi, on remarque, lorsqu'on étudie les registres matricules militaires, que beaucoup d'hommes qui
avaient été exemptés les années précédentes (par exemple pour faiblesse lors du conseil de révision,
ou frères déjà au front), sont reconnus aptes au service armé.
Le nombre des victimes (morts, disparus, blessés) dépasse 700 000 hommes. Les pertes humaines
sont presque égales dans les deux camps.
Deux de nos compatriotes y laisseront leur vie, dans ce département de la Meuse...
Louis MEUNIER-MERLIOZ, 25 ans, cultivateur, célibataire, affecté, l'année précédente, à la
Compagnie de mitrailleuses du 22° RI, est tué à l'ennemi le 06 avril, à Watrouville.
Il habitait Chemin du Suel (aujourd'hui la maison est démolie, mais le bâtiment agricole a été
transformé en habitation par Hélène et Maurice Lion). Il est le second enfant d'une fratrie de 8.
Les trois fils aînés sont mobilisés. Leur maman repose dans le cimetière du village depuis 10 ans.
Un secours de 150 francs sera payé à leur père le 20 novembre 1916. Il n'est pas rare qu'une aide
soit octroyée aux familles particulièrement éprouvées.
Auguste BOUVAT, 25 ans, garçon de salle lors de son conseil de révision, célibataire, passé du 22°
au 99° RI, est disparu à la ferme de Thiaumont (fortification sur la rive droite de la Meuse) le 07
mai, d'après l'avis ministériel du 15 juin. Le décès est fixé au 07 mai 1916 par le jugement déclaratif
du Tribunal de St Marcellin rendu le 19 juillet 1919.
La famille Bouvat, originaire de La Frette, s'était installée à la Combe, à St Michel, en 1832.
Augustin Bouvat, le père d'Auguste, avait fait la guerre de 1870/1871, et était maréchal ferrant.
Ces deux décès porteront à 10 le nombre des sépultures (dont trois enfants en bas âge) de cette
année-là.
A la mi-octobre, après les vendanges, c'est la délibération pour un emplacement pour distiller les
marcs de raisin. Comme l'eau est rare dans notre commune, l'endroit le plus favorable se trouve
dans les prés d'Eugène COSTE, section B, sur le chemin n° 5 allant de St Michel à Chasselay. A cet
endroit, il y aura l'eau du ruisseau tout près et 4 ou 5 chemins viennent aboutir. N'oublions pas qu'à
cette époque, l'eau-de-vie, appelée plus communément la «goutte» ou la «gnôle», est présente dans
chaque maison. Certaines personnes commencent par en boire une rasade dès leur réveil. Bien rares
sont les hommes,voire même quelques femmes, qui n'en ajoutent pas une petite quantité à leur tasse
de café à la fin du repas de midi. Elle est indispensable à la ménagère pour la fabrication des
liqueurs et vins: vin de noix, bien sûr (on est une région de nuciculture), vin de cassis, et tant
d'autres fruits...Ses propriétés médicinales sont connues: c'est un antiseptique utilisable en interne
(gargarismes) et en externe (pour calmer les fortes douleurs dentaires par exemple). Chaque
propriétaire récoltant est habilité pour produire ses propres eaux-de-vie.
A la fin de 1916, sans doute bien peu de personnes songent à un événement qui avait secoué St
Michel 10 ans auparavant: la loi de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Pour mieux comprendre,
remontons le temps et notons les modifications.
Sous l'Ancien Régime, c'est-à-dire avant 1789, la société était divisée en trois ordres: le Clergé, la Noblesse, le
Tiers-Etat. Les deux premiers étaient privilégiés. Ils étaient craints et respectés et ne payaient pas l'impôt. Les
curés des paroisses enregistraient, en deux exemplaires, les BMS (baptêmes, mariages, sépultures).
A St Michel, le parcellaire de 1647 inventorie tous les biens des habitants, y compris les fonds possédés par
les nobles et les ecclésiastiques.
Ceux des 64 propriétaires qui cultivent leurs terres ont en moyenne 9 sestérées (en Dauphiné une sestérée
équivaut à 2500 m2).
Ceux des nobles (ils n'habitent pas St Michel à l'exception de demoiselle Marguerite de Roche Vieillie, veuve
de Sieur Noble François de Bergier, Seigneur de Sirizieu, actuelle maison Victor Mallier,) mesurent en moyenne
35 sestérées.
Les biens de la cure (mas de l'église, prés et terres au Vernay, aux Fourcoules, aux Blaches) totalisent 12
sestérées.
Après la Révolution Française les biens du Clergé deviennent des Biens Nationaux. Ainsi le 7 septembre
1790, le Conseil Général de la Commune a délibéré d’acquérir pour la somme de 3040 livres de biens
nationaux qui sont situés dans l’étendue de cette municipalité conformément aux décrets de l’Assemblée
Nationale. Le dimanche 30 janvier 1791, à 10 h du matin, dans l’église paroissiale, à l’issue de la messe
paroissiale, en présence du Conseil Général de la Commune et des fidèles assemblés, Jean-Joseph Coste, curé
de St Michel, s’est présenté et en exécution du décret de l’Assemblée Nationale du Royaume a dit qu’il venait
avec empressement prêter le serment civique prescrit par ledit décret: «veiller avec soin sur les fidèles de la
paroisse qui lui est confiée, être fidèle à la Nation, à la Loy, au Roy, et maintenir de tout son pouvoir la
Constitution décrétée par l’Assemblée Nationale et acceptée par le royaume».
En 1801, Bonaparte, Premier consul, afin de rétablir la paix religieuse dans le pays, entame des négociations
entre les gouvernements de Paris et de Rome qui aboutissent à un acte appelé Concordat, qui reconnaît que
la religion catholique est celle «de la grande majorité des Français» et non pas celle de l'Etat. L'Église
s'interdit de revendiquer les biens «nationalisés» par les lois révolutionnaires; l'État assure, en contrepartie,
un entretien décent aux ecclésiastiques. Ainsi, en 1816, le Conseil Municipal vote pour les indemnités de
logement du desservant de l’église de la paroisse de St Michel: 100 f et le traitement de ce desservant: 200 f.
Le 09 décembre 1905 est adoptée, à l'initiative du député républicain socialiste Aristide Briand, une loi
concernant la séparation des Eglises et de l'Etat, , qui prend parti en faveur d’une laïcité sans excès.
Article 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes.
Article 2 : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.
En chaire, l'abbé JUVIN proteste avec force contre cette loi, entraînant ses paroissiens dans un réel émoi. Nos
aînés nous ont raconté que la population s'était rassemblée dans l'église le jour des inventaires. Chantres et
chanteuses, avec ferveur, chantaient tous les cantiques qu'ils connaissaient, notamment «Nous voulons Dieu».
Un voisin de l'édifice religieux clamait à qui voulait l'entendre que les gendarmes ne pénétreraient pas dans
le lieu saint car il les en empêcherait, en faisant un rempart de son corps.
Finalement, tout se déroule dans le calme. Il n'y en a pas mention, d'ailleurs, dans les délibérations du CM,
avant le 15 mai 1907. L'ordre du jour est la location du presbytère. Avant d'en fixer le prix on examine son
état et on en constate le délabrement, qui ne peut qu'augmenter, en ce qui concerne portes, fenêtres,
planchers, tapisseries, persiennes, volets...
Les loyers oscillent entre 20 et 50 F. Il faut traiter avec le desservant: 40 F, impôts et assurances à la charge de
la commune. Durée du bail: 8 ans.
En 1908, après les élections municipales, le nouveau maire, Pierre Dijon, ami des écoles laïques, membre du
comité républicain cantonal de St Michel, n'accepte pas que l'abbé Elie Juvin donne l'enseignement primaire
à 5 enfants d'âge scolaire; mais il n'accompagne pas la police dans cette enquête. Au tribunal correctionnel de
St Marcellin, on conclut que «ce prêtre avait cru faire oeuvre pie en ouvrant une école clandestine, au mépris des lois
et règlements sur l'enseignement privé». En dépit de ses protestations d'innocence, Monsieur Juvin est reconnu
coupable et condamné à 16 f d'amende.
Les rapports resteront toujours très courtois entre les représentants de l'Eglise et de l'Etat à St Michel. Nous
en avons pour preuve le délibéré suivant. Le 15 avril 1911, la famille de l'Abbé Augustin VEYRON (1829-
1898), originaire de St Etienne, ex-desservant, demande que ses restes, dans l'ancien cimetière, soient
exhumés dans le nouveau cimetière. Il a exercé pendant 28 ans. En reconnaissance de ses bienfaits rendus
pendant son passage, à titre d'hommage public, une concession gratuite en sa faveur est accordée.
Au terme de cette année 1916, quand on vérifie les actes d'état civil, force est de constater que la
morosité causée par la guerre n'encourage aucun couple à se créer.
7 enfants sont nés, la plupart ayant été engendrés au cours d'une permission de leur papa, l'année
précédente. «Quand on ne s'est pas vus pendant longtemps, on s'aime mieux après» confiaient
certains.
Triomphe de la vie!



Sources:
– parcellaire de 1647
– BMS de Saint Michel de Saint Geoirs
– registres d'état civil de la commune de Saint Michel de Saint Geoirs,
– registres matricules militaires publiés par les archives en ligne de l'Isère,
- Recensement de la population de 1906